Donné pour mort autour de 1990, le jean est cette toile qui, depuis un siècle et demi, ne cesse de se régénérer pour se trouver de nouveaux débouchés : matière transgénérationnelle par excellence, elle franchit aussi les couches sociales avec une aisance de caméléon. Vêtement populaire par excellence - c'est celui des chercheurs d'or -, il s'est infiltré, grâce à Jean Paul Gaultier, jusque sur les podiums de haute couture. Couleur préférée du monde occidental depuis que les sondages d'opinion existent, le bleu est probablement une des clés du succès du denim, aux origines géographiques incertaines (serge de Nîmes ? blu di Genova ?) mais dont nul n'ignore qu'il fut popularisé par Levi Strauss à la fin du XIXe siècle dans l'Ouest américain. Michel Pastoureau, auteur d'un précieux ouvrage sur le bleu (1), voit dans la longévité du jean une tout autre explication. D'abord, pour le sociologue, la réputation contestataire du jean est abusive, précisément en raison de sa couleur, d'une neutralité absolue (c'est d'ailleurs celle de l'Onu, par exemple).
Le jean « est à l'origine un vêtement de travail masculin, devenu peu à peu un vêtement de loisir et dont le port s'est étendu aux femmes, puis à l'ensemble des classes et catégories sociales. A aucun moment, même dans les décennies les plus récentes, la jeunesse n'en a eu le monopole », rappelle-t-il. « A la limite, ajoute-t-il, on pourrait dire que c'est un vêtement protestant - même si son créateur est juif - tant il correspond à l'idéal véhiculé par les valeurs protestantes (...), simplicité des formes, austérité des couleurs, tentation de l'uniforme.» Utilisé, ce printemps, pour y tailler des jeans ultramoulants (dits « skinny ») voire des escarpins dernier cri vertigineux, le jean paraît cependant, ces temps-ci, prendre quelques aises avec les valeurs pastorales.
- Anne Boulay for Absolu feminin